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Lundi 22 mai 1871
Une journée funèbre

La Commune
La semaine sanglante

La journée du lundi 22 est la journée funèbre. Tous les morts de la semaine sanglante, les otages massacrés et les dizaines de milliers de fusillés ont été condamnés ce jour-là. Un homme, au moins, le maréchal de Mac-Mahon, porte devant l'Histoire une responsabilité écrasante, mais il n'est pas le seul à la porter.

Paris est ouvert, c'est le moment ou jamais.

Gardes nationaux pendant la Commune de Paris
Lorsque le jour se lève, le lundi 22 mai, ces six hommes, le commandant en chef et les cinq généraux de corps d'armée, ont une carte magnifique à jouer. La Commune est en pleine désagrégation. L'armée fédérée ne mérite même pas ce nom. « Gaillard père », le patron des barricades nommé par Rossel, a donné, écoeuré, sa démission le 17 mai. Il n'a laissé derrière lui que la fameuse redoute de la rue Saint-Florentin (le Château-Gaillard) et celle de l'Opéra. Les autres sont purement « folkloriques ». Elles ont été improvisées dans les quartiers traditionnellement insurrectionnels mais, pour le reste, Paris est libre, Paris est ouvert. C'est le moment ou jamais de profiter des réalisations du baron Haussmann. Pour une fois, tous les historiens, de droite ou de gauche, proversaillais ou procommunards, sont d'accord. Il n'est que de foncer droit devant soi, de prendre l'Hôtel de Ville, et la Commune est liquidée dans la matinée. On pense aux extraordinaires contre-marches de Napoléon. Mais Napoléon est mort. On se retrouve devant cinq hommes (en exceptant Clinchant) au lourd passé: vingt années de régime militariste, d'aventures coloniales, de basses intrigues et de vie de garnison, une guerre désastreuse au cours de laquelle ils ont été battus à plate couture. Des généraux capitulards, anciens prisonniers, voilà ce que l'on lâche sur Paris. L'atroce vérité qui va expliquer tout le reste, c'est que ces hommes ont peur. Ils ont peur de chaque maison, de chaque fenêtre, de chaque bouche d'égout. Ils ont peur de chacun de leurs soldats, tellement ils sont traumatisés par la journée du 18 mars, au cours de laquelle ils n'ont pas su tenir leurs troupes en main, les empêcher de se laisser gagner par la ferveur révolutionnaire de Paris. L'un d'eux, commandant en chef ce jour-là, Vinoy, grand officier de la Légion d'honneur, a tout simplement fui devant l'émeute.
Comme les Parisiens qui y croient encore, ils craignent que leurs hommes, en pénétrant dans la Mecque de la Liberté, mettent la crosse en l'air.
Cela explique pourquoi, tout au long des journées du 22 et du 23, l'armée va littéralement piétiner, ses généraux soucieux de ne courir aucun risque, de garder le contact, de regrouper sans cesse leurs unités.

Le Paris communard en plein désarroi

une barricade de la Commune de Paris
Pendant que le Paris communard est en plein désarroi, les troupes versaillaises, partant de leurs positions de la nuit, se mettent prudemment en marche, dès 5 heures du matin. Il semble que les soldats eux-mêmes ont peur de cette ville qui, pourtant, jusque-là, ne leur résiste pas. Dès 5 h 30, franchissant l'actuelle avenue de la Grande-Armée, ils ont pris la porte Maillot à revers et marchent vers les Batignolles. Les officiers ne courent aucun risque. Ils font fusiller systématiquement les quelques gardes nationaux qui tombent entre leurs mains. Aucun d'eux, en fait, n'est capable de comprendre l'aspect politique de la mission qu'il remplit. Aucun d'eux n'est préparé à voir dans ces Parisiens insurgés des compatriotes qu'il faudrait rallier et non des ennemis qu'il faut détruire impitoyablement. Pour cette armée marquée par la défaite de l'année précédente, le pire obstacle à la résurrection nationale, c'est la révolution parisienne. Les officiers versaillais se sentent infiniment plus proches de ces « collègues » allemands qui comptent les coups avec délice, à quelques dizaines de kilomètres de là, que de « la racaille parisienne » qu'ils s'apprêtent à exterminer.
La marche en avant se poursuit. Déjà, on procède, au parc Monceau, à des exécutions capitales et huit fédérés sont abattus, sans autre forme de procès, rue de Rome, sous les fenêtres de Maxime du Camp, qui se trouve ainsi aux premières loges pour témoigner.
Le grand axe de pénétration ouest-est est absolument libre. Passé la place de l'Étoile, la première barricade se trouve, nous le savons, derrière la Concorde, et encore, elle est vide de tout défenseur. Mais le général Douay n'exploite pas...
Le délégué à la Guerre, Delescluze, est conscient de ce vide. Pour le combler et avant d'abandonner lui-même le ministère de la Guerre, il fait appel à l'un des rares hommes qui auraient pu changer le destin de la Commune: Paul Magloire Brunel, un des généraux du 18 mars. Peu après le jour de l'insurrection, Brunel a eu des mots avec la Commune. Il a été incarcéré à Mazas sur sa propre demande. Delescluze l'en a fait sortir l'avant-veille. Il lui confie maintenant le verrou de l'axe ouest-est.
Il rassemble aussitôt des éléments de sa 10e légion et quelques autres. En tout, 300 hommes environ. S'appuyant sur la redoute de la rue Saint-Florentin, il fait en hâte barrer la rue Royale, face à la Concorde, garnit le tout de diverses pièces de canon, une dizaine au total, dont six sur la terrasse des Tuileries. Tandis qu'il organise ainsi son réduit, les fuyards d'Auteuil et de Passy continuent d'arriver par le faubourg Saint-Honoré. Ils n'aspirent plus, expliquent-ils, qu'à se battre au coude à coude avec les camarades, retranchés derrière une barricade. Ils ne veulent plus être pris entre deux feux, comme à la porte Maillot. Et dans leur troupe dépenaillée circule le mot terrible: « Trahison ! ».

Demain, ce sera pire

Tandis que le crépuscule s'installe sur Paris, de nouveaux obus, tirés des Champs-Élysées, s'abattent sur le ministère des Finances où le feu renaît, rageur. Pour la première fois, en cette sinistre semaine, Paris voit s'élever la lueur pourpre de l'incendie, et la noire colonne de fumée qui obscurcit le ciel clair du mois de mai. Demain, ce sera bien pire.
Au soir de cette journée, les Versaillais ont fait des progrès fantastiques. Près d'un tiers de la ville est entre leurs mains, mais il est vrai qu'il s'agit de l'ouest, c'est-à-dire des quartiers bourgeois.

Un tiers de la ville est occupé

Le lundi, vers midi, un tiers de la ville est occupé : Douay atteint l'Étoile, Clinchant Saint-Lazare, Cissey la gare Montparnasse. A la Commune tombent les masques des fanfarons, tandis qu'un tardif orgueil galvanise des modestes : comme apparaît la lâcheté d'un Pyat, déjà en fuite, se révèle le caractère d'un Malon, d'un Varlin qui, pour l'honneur, pour que survive leur chimère, tiendront jusqu'au bout.
Tandis qu'à la Bastille, les « vengeurs de Flourens » fusillent qui veut les empêcher de barrer une rue, aux Ternes, tombées aux mains des Versaillais, des passants doivent, sous la garde de pantalons rouges, démolir des barricades devant les cadavres de fédérés qui, la veille, les obligeaient à les construire. Des gens effarés sortent des maisons sous les bourrades des soldats. De leur seuil, des boutiquiers guettent le concurrent ou le mauvais payeur et courent vers un gradé « Arrêtez-le, monsieur le sergent! Il « en » était! »
bas
D'après le rapport du général Appert, 538 enfants ont été arrêtés par les Versaillais. Les dirigeants de la Commune étaient réticents à armer des enfants, mais il y eut quelques enfants-soldats, ainsi au sein du
« bataillon des pupilles »de la commune, composé de garçons de 11 à 16 ans.
Participant à la construction des
barricades, ils sont armés et formés au tir. On raconte que le colonel Boulanger, futur ministre de la Guerre, aurait été blessé d'une balle tirée par un enfant, perché sur une enseigne.Plusieurs l'ont payé de leur vie, comme le montre ce tableau d'Alfred Philippe Roll L'Exécution d'un trompette sous la Commune, 1871 (Paris, musée Carnavalet).